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Décryptage/Témoignage

Protection de l’enfance : des pistes pour faire face aux difficultés

Le secteur de la protection de l’enfance traverse une crise sans précédent. De plus en plus de départements expriment leurs difficultés pour assurer leurs missions, certains d’entre eux appellent à la mise en place d’États Généraux. D’autres acteurs[1] réclament un « plan Marshall » pour  une refonte de cette politique publique. Si la situation est effectivement préoccupante, il y a d’ores et déjà des pistes à explorer, pour peu qu’on s’appuie sur un diagnostic solide. 

Depuis 20 ans la protection de l’enfance est confrontée à une augmentation croissante du nombre d'enfants pris en charge par les départements, et donc des budgets pour y faire face[2].

À partir de 2005, après une grande décennie de stabilité, le nombre d’enfants accueillis a augmenté, en particulier à cause d’admissions de mineurs non accompagnés (MNA). Pour la France métropolitaine, la majeure partie des jeunes accueillis, les « hors MNA », étaient 143 000 en 2015, et 160 000 en 2022. Pour la même période, les MNA triplaient presque, passant de 15 000 à 41 000. Ces flux, inégaux d’un département à l’autre, nécessitent une adaptation immédiate de la capacité d’accueil, ce qui est impossible. 

De surcroit, l’adaptation des capacités d’accueil exige de s’appuyer sur une analyse fine des besoins.  « Il faudrait avoir une connaissance beaucoup plus fine de la réalité des difficultés des enfants dans les familles et des réalités des enfants accueillis », souligne Didier Lesueur, délégué général de l’Odas. On constate par exemple que les services départementaux avancent couramment que la part des enfants en situation de handicap serait supérieure à 20 % des enfants accueillis, soit au moins 40 000. Pourtant les chiffres disponibles, même s’ils sont sous-estimés car ils ne prennent pas en compte ceux en accueil familial, ne reflètent pas cette réalité. En effet, le nombre d’enfants reconnus par les MDPH et confiés à l’ASE est largement inférieur : 2 000 enfants se trouvent dans des établissements pour enfants en situation de handicap et 4 000 enfants reconnus handicapés sont accueillis dans un établissement habilité ASE. 

Par ailleurs, les départements ont peu de maîtrise sur les admissions.  Outre l’accueil des MNA, ces dernières relèvent pour la majorité de décisions judiciaires. Plus de 70 % des décisions de suivi en milieu ouvert et plus de 75 % des décisions d’accueil qui confient à l’ASE ou directement à un établissement ou à une personne sont prises par l’autorité judiciaire. Une meilleure régulation des informations préoccupantes pour maîtriser les saisines faites par les départements à l’autorité judiciaire est donc indispensable. 

Il est également nécessaire de renforcer l’évaluation de l’offre de service, pour la rendre la plus variée possible et répondre à la complexité croissante des situations individuelles. La mesure de l’impact sur le devenir des enfants serait aussi très utile pour développer des formules plus adaptées que ce soit en milieu ouvert comme en hébergement. Mais d’autres voies mériteraient aussi d’être explorées : la clarification des relations avec les parents pour mieux s’appuyer sur leurs capacités ; la mise en œuvre du projet pour l’enfant avec la préoccupation de fluidifier les parcours dans les services de l’ASE ; la coopération entre les acteurs institutionnels et la société civile pour faciliter les complémentarités ; sans omettre le réel développement d’une approche globale en prévention. 

La prévention est une priorité affichée par les schémas départementaux de la protection de l’enfance. Mais sa traduction dans les comptes n’est pas aisée à déchiffrer, sauf dans le cas où elle est confiée à un opérateur extérieur. Lorsqu’elle est assurée par le personnel départemental, son coût est difficilement identifiable. Comme par exemple pour l’intervention d’une technicienne de l’intervention sociale et familiale (TISF), de la prévention spécialisée ou de la protection maternelle et infantile (PMI). Seule l’observation directe de l’action des professionnels dans les territoires permet d’appréhender ce sujet. C’est ce que fait l’Odas avec notamment plusieurs travaux menés auprès de 14 départements (cf. rapport d’activités de l’Odas 2022) qui seront rendus publics dans un rapport publié prochainement. 

Ces différents travaux, qui confirment que la mise en œuvre de la prévention peine à se concrétiser dans les faits, ont vocation à identifier les leviers pour engager une prévention précoce en mobilisant les acteurs éducatifs dans les territoires pour construire un éco-système où l’éducation est une affaire plus partagée.  Seule cette approche globale de la prévention est à même de lutter contre l’affaiblissement des liens sociaux qui provoque de l’isolement et qui est source de danger pour les enfants. 

En témoigne le procès d’une maman au mois de janvier qui a eu un fort retentissement médiatique. Comment est-il possible que, de 9 à 11 ans, son enfant ait vécu quasiment seul dans un appartement à Nersac (Charentes) sans attirer l’attention de son entourage ? Une première explication est à trouver dans la forte autonomie de ce garçon. Mais la deuxième explication est plus préoccupante. Un journaliste de la Charente libre a mis en avant l’absence de lien social : aucun adulte, en dehors du cercle familial, n’entretenait visiblement de relation avec cet enfant. 

« On ne le dira jamais assez, les enfants sont moins en danger par l’absence de bien que par l’absence de lien. Cette affaire comme bien d’autres en témoigne. Au moment où le gouvernement s’interroge sur l’avenir de la décentralisation et notamment de la protection de l’enfance, il est urgent de ne pas focaliser seulement sur la répartition des compétences et les financements mais de travailler sur la finalité de cette répartition des responsabilités », affirme Didier Lesueur. Si en 1984, l’enjeu était d’abord de rapprocher les centres de décision des habitants, aujourd’hui l’enjeu prioritaire est de développement des liens sociaux et des repères partagé pour combattre les effets délétères de l’individualisme. Il conviendrait alors d’affirmer en tout premier lieu le rôle de la commune en la matière, avec le soutien de l’intercommunalité et du département[3]. Si des communes sont déjà engagées avec par exemple la Journée citoyenne[4], il s’agit dorénavant d’en faire un objectif partagé par tous pour renforcer la solidarité institutionnelle dont on mesure chaque jour les limites par le développement et l’entretien de solidarités de proximité. C’est la seule voie pour retrouver de la confiance, assurer la cohésion de la société et donc mieux protéger les enfants. 

 

Joachim Reynard


[1] Conseil national de la protection de l’enfance (CNPE), le Conseil national de l’adoption (CNA) et le Conseil d’orientation des politiques de jeunesse (COJ)

[2] Voir les enquêtes annuelles de l’Odas « Dépenses sociales et médico-sociales des départements ».

[3] Voir « Maires, le dernier rampart », Jean-Louis Sanchez, éditions l’Harmattant

[4]Voir à ce sujet les multiples initiatives expertisées par l’Odas sur le site internet apriles.net et le site journéecitoyenne.fr