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Décryptage/Témoignage

Inventer le toît de nos vieux jours

« Inventer le toit de nos vieux jours » : c’est l’article que vient de publier dans son numéro du mois de mars, le Journal des Acteurs Sociaux. Y sont présentées plusieurs initiatives portées par l’Assurance vieillesse et des acteurs locaux pour anticiper les attentes de nos aînés sur leur cadre de vie. Entre un domicile parfois inadapté et le placement en établissement considéré comme ultime recours, des solutions intermédiaires se développent. A l’exemple des petites unités de vie ou de l’habitat inclusif, auquel le Lab’AU de l’Odas a consacré une vingtaine d’expertises, en ligne sur son site. L'occasion également de revenir sur la récente étude de l'Odas et La Banque Postale sur la situation financière des Ehpad et l’état actuel de l’accompagnement proposé aux personnes âgées en perte d’autonomie.

Un ouvrage sur des projets futuristes d’habitats séniors1, une étude nationale pour identifier les attentes des futurs retraités en matière de logement… l’Assurance retraite prépare le “chez soi” de demain, entre adaptation du logement et nouvelle façon d’habiter. De quoi répondre au désir des Français : vieillir à domicile, celui où ils vivent déjà ou celui, mieux adapté à leur nouveaux besoins, qu’ils se seront choisis.

2050...à Écouché-les-Vallées, petite commune de caractère à douze kilomètres d’Argentan, Marie attend l’arrivée de ses petits-enfants. Depuis que son pavillon a été aménagé avec l’aide de la mairie pour accueillir une seconde famille à l’étage, elle a moins de place pour les recevoir. Sur l’application qui la relie à La Ruche, le guichet unique de services aux séniors implanté au cœur du bourg, elle a commandé un mini module d’habitation, qu’un drone doit lui livrer dans son jardin. Elle en a profité pour réserver également un créneau à la cabine de télémédecine, pour une consultation médicale. Pendant ce temps, ses petits-enfants sont inscrits à l’Escape Game et tous se retrouveront au café solidaire, installé dans cette Ruche aux fonctions hybrides dont la tour alvéolée surplombe le village.

Quels lieux de vie demain?

Science-fiction ? Pas tout à fait. Le projet La Ruche est l’un des cinq primés de l’appel à idées “Silver Habitat” initié fin 2019 par la Carsat de Normandie et les Conseil d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE) de la région. Son objectif : inventer les lieux de vie des séniors de demain et, plus globalement, repenser la place des âgés au sein de leurs villes ou villages. “À l’occasion d’une enquête menée auprès des retraités normands, nous avions constaté que leurs attentes ne correspondaient plus au modèle du foyer logement des années 70/80 devenu résidence autonomie. Aucun de nous n’a envie de vieillir dans un lieu qui ressemble à une résidence universitaire avec 80 studios ou T1 !”, insiste Jean- François Capo-Canellas, directeur de l’action sociale à la Carsat Normandie. 36 équipes pluridisciplinaires, réunissant architectes, ergothérapeutes, infirmières, élus locaux, habitants… ont donc accepté de se lancer dans un “voyage en terre inconnue”, sur cinq sites allant du plus rural au plus urbain. “La finalité n’était pas tant d’imaginer des projets réalisables mais de constituer un catalogue des possibles, transposables tout ou partie, et de donner à voir aux élus locaux et bailleurs sociaux d’autres logiques, éco responsables, sobres en énergie, collaboratives”.

Faire bouger les lignes

À Annoville (Manche), village rural et côtier de 675 habitants, la démarche a fait bouger les lignes, comme en témoigne la maire, Sabrina Régnault : “Nous avions un projet de résidence autonomie d’une quarantaine de logements, validé par le Conseil départemental, mais au démarrage de la phase opérationnelle, un de nos principaux partenaires, la Carsat, nous a alertés sur l’évolution des attentes des séniors et nous a proposé d’être un des sites test de l’appel à idées. Les sept propositions des équipes candidates ont complètement bousculé nos convictions. Là où nous imaginions un bâtiment massif, dont l’architecture allait envahir le bourg, leurs projets prônaient l’ouverture, la modularité, la réversibilité et le multi-usage. Nous avons tout mis en suspens et aujourd’hui nous envisageons plutôt un projet d’habitat inclusif d’une quinzaine de logements”.

Une enquête nationale

À la Caisse nationale d’assurance retraite (Cnav), l’adaptation du logement, la création ou la rénovation de lieux de vie collectifs et le développement d’habitats intermédiaires font partie des politiques structurantes d’action sociale. En 2020, près de 40 000 retraités ont bénéficié d’une aide individuelle pour financer des travaux ou l’installation d’aides techniques et plus de 75 millions d’euros ont été accordés sous forme de prêts sans intérêts ou de subventions pour la construction ou la réhabilitation d’habitats séniors.
Pour passer de l’exercice prospectif de la Carsat Normandie à une stratégie opérationnelle, adaptée aux nouveaux modes de vie des futurs retraités, la Cnav engage une vaste étude. Conduite par le Crédoc, dans le cadre d’une convention de deux ans, elle portera à la fois sur l’habitat et sur le parcours résidentiel des retraités et futurs retraités. “On sait que les séniors ont beaucoup de mal à se projeter. Une précédente étude a montré que seuls 23% d’entre eux ont commencé à aménager leur logement au moment du passage à la retraite… Ils ont alors d’autres préoccupations, notamment financières. L’étude devra nous éclairer sur les leviers et sur le bon tempo pour aborder ces questions”, précise Odile Charrier, en charge du développement et du pilotage de l’action sociale à la Cnav.

Vers un autre chez soi

“Il s’agira aussi de comprendre quand et comment les retraités peuvent anticiper un changement de résidence ou de cadre de vie, de tester leur connaissance de l’offre intermédiaire entre le logement individuel et le collectif de l’Ehpad, à l’exemple des béguinages, des Marpa, du logement intergénérationnel”, complète Élodie Albérola, directrice du pôle Impact et Innovation sociale au Crédoc. L’étude prévoit aussi un zoom sur les résidences autonomie qui selon elle “ont leur place dans l’offre en tenant compte de l’évolution des besoins des retraités”. Deux sites seront retenus pour une étude de terrain. Elle permettra de recueillir la parole des résidents, de leurs familles, des gestionnaires, complétée par celle d’experts de l’habitat, et de proposer des pistes pour l’avenir de ces résidences.

Le 8 décembre 2021, l’Odas et La Banque Postale présentaient les résultats d’une étude menée conjointement sur la situation financière des Ehpad et l’état actuel de l’accompagnement proposé aux personnes âgées en perte d’autonomie. Elle présente notamment les enjeux du soutien à domicile, qui concerne 92% des plus de 75 ans, dont le modèle économique repose sur des financements publics de plus en plus contraints et la solvabilité des bénéficiaires qui est fragile. Puis elle dresse le portrait des EHPAD et des unités de soin longue durée, dont l’entrée relève souvent d’un choix contraint. Ces établissements sont majoritairement devenus des lieux de fin de vie, peu ouverts sur le monde extérieur, avec un poids de plus en plus important du sanitaire, en matière de normes et d’environnement. Ils ne favorisent pas le lien social ou la citoyenneté des résidents alors que 43% d’entre eux sont moyennant ou peu dépendants. Elle dessine également les perspectives pour 2040. Rappelant que, quel que soit l’effort public décidé en matière d’établissements, il est important de considérer en priorité le soutien à domicile qui concerne la grande majorité des personnes âgées d’au moins 75 ans, même dépendante.

“Trop souvent, ces questions de logement sont très peu abordées en amont dans les familles. La Cnav peut permettre d’amorcer la réflexion, dans une logique de prévention et de parcours de vie. Les personnes- âgées doivent retrouver leur capacité à décider de leur lieu de vie et plus largement de leur choix de vie”, conclut Élodie Albérola. Pour les y aider, la Cnav et le Crédoc ont d’ores et déjà prévu de concevoir une application qui permettra à chaque retraité de détecter ses besoins en lien avec l’habitat, de l’informer sur les aides existantes et les alternatives possibles.

1 Réinventer les lieux de vie des séniors de demain https://www.carsatnormandie.
fr/home/partenaires/action-sociale/appel-a-idees.html