Le 24 mai, avec les journées citoyennes : le lien social comme étendard
Malgré les sollicitations, presque aucun média n’en parle. Pourtant, en Alsace, la révolution est en marche au plus grand bénéfice du vivre ensemble. Et elle fait boule de neige. Samedi 24 mai a eu lieu la septième édition des Journées citoyennes. Dans le sillage de Berrwiller à l’origine de la démarche en 2008, ce sont désormais plus de 40 communes qui organisent l’évènement durant lequel la quasi-totalité des habitants et les entreprises locales se mobilisent dans la joie et la bonne humeur pour rénover leur environnement, et du même coup restaurer le troisième volet du triptyque républicain. Avec ses 360 chantiers en Alsace, l’édition 2014 prévoit de réunir plus de 5000 participants cette année. Tandis que plusieurs villes, partout en France, se sont engagées à mener leurs journées citoyennes l’année prochaine. A suivre...
Berrwiller... Haut-Rhin, 1 150 âmes. Qui ne connaît pas Berrwiller ne peut imaginer la ferveur civique qui s’est emparée de ce petit bourg, il y a maintenant sept ans.
AU TOUT DÉBUT... BERRWILLER
L’Odas soutien la démarche depuis sa création et se rend sur place chaque année pour profiter d’une ambiance unique. En 2012, nous rédigions un reportage sur le sujet. Retour sur cette édition :
Samedi venteux. 9h. Les cloches retentissent dans un ciel gris et impénétrable. En arrière-plan, loin, l’immobile ballon d’Alsace. Au premier plan, l’orée du village, où plusieurs personnes semblent très affairées. Elles rénovent un abribus, bravant avec une gaieté manifeste la pluie cinglante. Brouette en avant, certains déversent de la terre, plants en main, d’autres fleurissent. À côté, alors qu’un groupe de femmes s’emploie à coudre des rideaux pour l’hôtel de ville, plusieurs hommes devisent logistique : comment acheminer les matériaux nécessaires à tel et tel chantier ?

En moins de deux, la solution est trouvée, l’organisation conclue, et l’exécution lancée. Dans le mouvement, deux femmes s’arrêtent, fières de nous faire admirer le parvis de l’église : dégagé, agrémenté d’une rocaille, et doté d’un tout nouveau banc pour le confort des plus âgés. D’ateliers en chantiers, les villageois nous guident vers l’ouvrage le plus magistral, point d’orgue de tout leur enthousiasme : la réhabilitation d’une ancienne agence bancaire en local intergénérationnel, qui sera à terme géré de paire par les anciens et les jeunes du village. Là encore, les efforts ne sont pas épargnés : électricité et peinture des locaux, remblayage de la chaussée... C’est parmi cette fourmilière s’activant sans relâche à l’intérieur comme à l’extérieur du bâtiment que nous retrouvons Fabian Jordan, le sémillant maire de Berrwiller. Manches retroussées, malgré la brise perçante, il nous accueille avec un visage radieux, le regard clair et franc. Il exulte de voir, cette année, plus de 300 personnes mobilisées pour cette nouvelle journée citoyenne.

L’IDÉE QUI CHANGE LES MENTALITÉS
La journée citoyenne, c’était son idée. Pour faire face à des moyens municipaux insuffisants pour entretenir idoinement la commune, quand il a été élu maire de Berrwiller il y a cinq ans. Cette année-là, l’hiver avait été particulièrement rigoureux, et les villageois, bloqués chez eux par la neige, avaient retrouvé le temps de se parler, et le plaisir de s’entraider. Marqué par la façon dont les habitants avaient tiré parti des circonstances, ce professeur de musique, très investi dans le mouvement associatif et mû depuis toujours par la volonté viscérale de rassembler les gens, s’est dit qu’il fallait “créer l’événement pour que les gens réapprennent à communiquer et à avoir des liens de proximité”. Il émet lalors l’idée que les habitants donnent, le temps d’une journée, un peu de eur disponibilité et de leurs aptitudes au village. Son projet est diversement reçu : il y a ceux qui adhérent et ceux qui doutent que cela fonctionne à une époque où l’individualisme a imprégné jusqu’au cœur des plus petits hameaux, autrefois très solidaires. Il insiste, et finalement le conseil municipal se rallie à son projet : la première journée citoyenne est lancée le 20 septembre 2008, et l’ensemble de la communauté appelée à y contribuer pour améliorer le cadre de vie.
Contre toute attente, cette journée est plus qu’une réussite : au-delà de l’impressionnant investissement humain et des nouveaux aménagements rendus possibles, ce sont des apports d’une tout autre nature qui se révèlent. Comme s’en réjouit Fabian Jordan : “On assiste carrément à un changement de mentalité”. Les jeunes, en faisant montre d’un réel sens de l’effort et d’une capacité à gérer et à organiser, parviennent à forcer l’admiration des plus anciens, qui avaient jusque-
là une image plutôt négative de la jeunesse. L’autre point positif majeur, c’est la façon dont la journée citoyenne parvient à faciliter l’intégration des nouveaux arrivants. Enfin, le partage d’expérience, s’il valorise tout-un-chacun, met aussi en lumière le travail des entreprises et des artisans engagés dans l’aventure, qui réussissent ainsi à faire passer la passion de leurs métiers auprès des citoyens, ravis d’apprendre de nouveaux savoir-faire.

En 2013, ils étaient encore plus nombreux. Retour sur la dernière édition en images :
LE CHANTIER QUI FAIT TÂCHE D’HUILE
Pour apprécier l’impact de l’initiative, qui a depuis contaminé plusieurs municipalités de la communauté d’agglomération Mulhouse Alsace Agglomération (M2A), nous nous rendons à Morschwiller-le-Bas, où près de 300 personnes œuvrent bénévolement en faveur de leur bien commun. Josiane Mehlen, maire à la jovialité pétillante, ne revient toujours pas du succès de cette deuxième édition : “C’est invraisemblable, on demande aux gens de venir travailler un samedi, et ils viennent avec le sourire, prêts à mettre la main à la pâte, motivés et dans un esprit hyperpositif. Les gens sont heureux, trempés comme des soupes, mais heureux. On a du mal à imaginer cela dans notre monde actuel”. Dans sa commune, en une matinée ce ne sont pas moins de trois chantiers d’envergure qui seront menés : la réalisation d’un sentier pour éviter aux écoliers d’emprunter la route nationale, l’aplanissement du terrain de l’aire de jeux et la fabrication d’un plessis avec le concours du Cercle d’histoire et des arboriculteurs locaux. Avec ce jardin médicinal, empli de plantes aromatiques et potagères, c’est toute la zone alentour qui a fait l’objet d’un paysagement : plantation d’arbres fruitiers, d’une vigne, création d’un chemin bordé de bancs, et édification d’une statue. Comme Fabian Jordan, elle souligne l’impact de la journée citoyenne sur les relations intergénérationnelles, interculturelles, inter-quartiers et inter-associations : “Il n’y a plus de barrière ni physique ni technique. Les expériences et les aptitudes se partagent.

Les enfants saluent la personne de 70 ans avec laquelle ils ont travaillé. Et la dame avec son foulard n’est plus l’étrangère, mais la dame qui a aidé à repeindre le chalet... Maintenant, les gens se sourient dans la rue, ils s’interpellent, boivent un café ensemble”, conclut-elle avec une satisfaction non feinte. Même élan à Richwiller, où plus de 500 habitants se sont mobilisés pour la troisième journée citoyenne par leur participation active à de nombreux travaux : mise en peinture de la mairie, isolation extérieure de la caserne des sapeurs-pompiers, campagne de fleurissement de la commune, peinture des candélabres, pose d’une clôture autour des terrains de pétanque, finalisation du jardin du presbytère, nettoyage du ban communal...

Pétri d’émotion, Vincent Hagenbach, le maire, nous confie d’emblée : “Vous savez, dans la vie d’un élu, il y a des moments qui ne sont pas évidents, et il y a des moments exceptionnels. La journée citoyenne est de ceux-là. On ne l’oubliera jamais”. S’il avoue que le pari, dans sa commune périurbaine, était loin d’être gagné, il est pourtant bien obligé de se résoudre : l’engagement de la part de la population est exceptionnel. Comme dans les autres communes, c’est aussi l’orchestration minutieuse du travail qui impressionne. Responsables de chantiers, chefs d’équipe, logisticiens, « ouvriers », tout le monde trouve sa place, et un rôle grâce auquel il ressortira enrichi. Ici, comme ailleurs, les services techniques sont particulièrement mobilisés. De longues semaines de préparatifs pour assurer l’efficacité de la journée citoyenne : “Les agents municipaux se plient en quatre pour que tout soit organisé au mieux possible”. Un avis qui résonne avec celui de Fabian Jordan : “Un des arguments forts de la journée citoyenne est qu’elle permet aux services techniques de se rapprocher de la population, et de lever les a priori sur le réel travail des agents communaux”.
LE SIGNAL QUE L’ON ATTENDAIT
Et lorsqu’on les interroge sur l’expansion que pourrait encore connaître l’initiative, à présent adoptée par une quarantaine de communes alsaciennes, les maires sont unanimes pour dire qu’ils souhaitent que cette citoyenneté active et cette solidarité villageoise se propagent, mais en veillant à garder l’état d’esprit initial. “C’est le risque quand on fait un grand mouvement”. Si l’organisation est laissée à l’initiative des communes, “il faut toutefois y aller doucement et garder l’âme du projet”, à savoir la recherche d’intégration des nouveaux habitants, la possibilité d’appropriation par tous du bien commun, le contact entre les générations et la valorisation de chacun.

Que retenir de cette expérience ? Tout d’abord, que cela marche et peut essaimer ailleurs si “les élus font l’effort de s’engager et qu’on laisse l’initiative aux habitants”. Ensuite que ce sont tous les liens des différents échelons de la communauté qui s’en trouvent resserrés : entre les personnes, entre les cultures, les âges et les sexes, entre les associations, les entreprises, les artisans, les agriculteurs et les populations, et même entre les communes : les services techniques ont
désormais le réflexe de s’entraider tout au long de l’année, et les maires, dont les problématiques sont loin d’être toujours les mêmes, échangent plus régulièrement. “Cela a créé entre nous quelque chose de très fort”, avoue Fabian Jordan, encore plein de gratitude envers l’Observatoire national de l’action sociale (Odas) pour avoir été le premier à s’intéresser à son projet, quand il était encore seul à le défendre.
Ainsi, dans une société démantelée par trop d’isolement et de défiance envers l’autre et les institutions, la journée citoyenne démontre qu’il est parfaitement possible de replacer l’humain au cœur du développement local. Probante, cette action innovante en matière de vivre-ensemble pourrait d’ailleurs bien créer un véritable mouvement de fond solidaire en France, car comme le dit Josiane Mehlen avec une foi si sincère : “Là où il y a de l’humain, il y a de l’espoir”...
On se réjouit alors de voir se dessiner une nouvelle conception de la politique, celle faite d’hommes et de femmes qui œuvrent non pas pour les idées, mais pour les hommes.

Et de plus en plus de communes rejoignent le mouvement. St Amour et Arbois se sont lancés dans la démarche. Plusieurs communes de Haute-Saône, des Pyrénées et de Bretagne s’y intéressent de près, tandis que plusieurs villes d’Alsace se sont déjà engagées pour l’édition 2015.
Ainsi, comme le souligne Fabian Jordan, « de plus en plus de communes semblent adhérer à l’idée que la politique ne se gère plus toute seule, mais bien avec les habitants, en plaçant les collectivités dans un rôle d’accompagnateur, projetant ainsi le citoyen en véritable acteur et non plus en simple consommateur ». ■
>> Le 23 mai, à la veille des journées citoyennes dans sa ville, le maire de Berrwiller, Fabian Jordan, était interviewé par La Croix
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