L’observation de l’enfance en danger : guide méthodologique
Parmi toutes les compétences transmises aux Conseils généraux par les lois de décentralisation de 1983, l’aide sociale à l’enfance occupe une place particulière en raison du public qu’elle concerne, mais aussi des enjeux partenariaux qu’elle soulève. Les départements se voient attribuer la responsabilité d’un secteur hautement sensible sur le plan symbolique et doivent démontrer leur capacité à en assumer la gestion, à optimiser les réponses apportées tout en préservant les équilibres institutionnels du système.
Les Conseils généraux vont donc devoir mettre en place les outils de pilotage permettant d’atteindre ces divers objectifs. Longtemps ceux-ci ont porté essentiellement sur les aspects financiers des réponses. Depuis 1990 les Conseils généraux cherchent aussi à rationaliser leurs choix en matière de stratégies organisationnelles et fonctionnelles. On passe progressivement du contrôle de gestion qui s’exerce a posteriori, à une observation des publics et des besoins qui s’exerce en amont de la décision. Plus des trois quarts des départements ont aujourd’hui cette ambition et certains se servent déjà des résultats obtenus pour initier des processus d’évaluation des réponses. On voit ainsi se concrétiser dans le domaine de la protection de l’enfance une recommandation fondamentale et pourtant fort peu suivie émise par les principaux analystes du service public : celle d’un passage de la décision empirique à la décision éclairée.
Et même si la demande de connaissance engagée a encore peu produit d’effets sur l’action elle-même, il faut admettre qu’elle constitue déjà en soi un élément d’appréciation important dans une démarche d’évaluation de la décentralisation.
C’est d’autant plus vrai que ce mouvement même s’il trouve d’abord son origine dans l’aspiration des responsables locaux à une amélioration des réponses, a été considérablement encouragé par le législateur.
En effet, la nécessité d’une observation de l’enfance en danger été particulièrement affirmée par la loi du 10 juillet 1989 relative aux enfants maltraités (article 68), qui précise que cette responsabilité est bien celle du Président du Conseil général qui « met en place, après concertation avec le représentant de l’État dans le département, un dispositif permettant de recueillir en permanence les informations relatives aux mineurs maltraités, et de répondre aux situations d’urgence, selon des modalités définies en liaison avec l’autorité judiciaire et les services de l’État dans le département ».
Mais si l’intérêt de cette approche territorialisée est évident, elle comporte pourtant un risque : celui du déficit méthodologique faute de réflexion partagée. Cette approche peut en outre s’avérer mal adaptée aux nécessaires comparaisons. Un recours exclusif à des recettes de terrain peut ainsi menacer la pérennité du système.
Toute construction des procédures d’observation devrait donc pouvoir s’appuyer sur un cadre méthodologique préalablement défini sur le plan national et adaptable aux réalités locales.
C’est pourquoi, dès 1992 sera mise en place au sein de l’Observatoire national de l’action sociale décentralisée, à la demande des diverses institutions concernées, une commission chargée notamment d’élaborer un guide permettant une harmonisation stratégique et méthodologique des dispositifs d’observation.
Grâce à ce guide, il a été possible de préciser les conditions de réussite d’une observation partagée en définissant les données à observer, les indicateurs souhaitables, les clés de lecture communes aux différents acteurs, tout en proposant une rationalisation des modalités de collecte et de distribution de l’information.
Autour de ces recommandations se sont donc harmonisées progressivement les initiatives locales qui vont pouvoir maintenant s’orienter vers l’évaluation des réponses (analyse des parcours d’enfants) afin de répondre à un intérêt plus vif des collectivités départementales pour une observation source d’action. En effet, les premiers pas de l’observation ont permis de vérifier l’importance des facteurs environnementaux dans la fragilité des familles et des carences éducatives dans les risques encourus par l’enfant, ce qui fait apparaître l’importance dans le soutien aux familles de formes plus collectives d’intervention sociale.
Concrètement, le nouveau défi proposé pour l’observation est de passer d’une bonne connaissance de l’enfant que l’on protège à une bonne connaissance de la qualité de cette protection, avec pour objectif d’être mieux éclairé sur l’efficacité des dispositifs et des pratiques individuelles et collectives.
L’ambition peut paraître excessive alors que les premiers dispositifs d’observation restent encore très perfectibles pour la seule observation des publics. On peut pourtant y croire, car partout s’impose comme incontournable la question du passage à une nouvelle étape de la protection de l’enfance, davantage axée sur le concept de bientraitance. En conséquence, il s’est avéré nécessaire de réactualiser le premier guide de l’observatoire de l’enfance en danger, pour en préciser, grâce aux enseignements tirés des premières années d’expérimentation, tout à la fois sa finalité et les conditions de sa mise en œuvre.