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Décryptage/Témoignage

lutte contre la pauvreté : quels enjeux pour le travail social et les politiques sociales ?

Synthèse de l'intervention de Didier Lesueur, délégué général de l'Odas, lors de la Journée d’étude du département de la Moselle « Le travail social face aux nouveaux défis de la pauvreté » du 21 octobre 2022.

Le rôle de l’Odas, observatoire national organisé sous forme associative, est de « clarifier les évolutions sociales pour adapter l’action publique ». Nos observations relèvent davantage d’une approche systémique et ne constituent pas une remise en cause ou un jugement des acteurs.

L’interdépendance, une réalité

La période de la pandémie que nous venons de traverser a eu – et continue d’avoir – des effets délétères sur l’activité sociale et économique, comme sur les personnes elles-mêmes. Elle a également été, notamment lors du premier confinement, l’occasion de diverses initiatives dans des territoires qui ont permis à certains professionnels de dire combien ils retrouvaient le sens du travail social (cf. rapport de l’Odas – La puissance de la proximité - Crise sanitaire, bonnes pratiques et innovations – Avril 2022).

Surtout, ce virus, qui a mis à l’arrêt l’activité de la quasi-totalité des pays à l’échelle de la planète, a rappelé la vulnérabilité de chacun, en dépit de notre richesse collective et de nos multiples systèmes de protection. Il a aussi rappelé notre interdépendance, la vie pouvant se dérouler grâce à ceux qui ont assurés les approvisionnements et les soins notamment, mais aussi grâce aux nombreuses solidarités locales spontanées. 

Le chainon manquant

L’importance et l’utilité de ces liens d’interdépendance ont été très vite oubliés, car notre société ne fait plus de l’entretien des valeurs collectives une priorité, laissant de fait se développer l’individualisme et le repli sur soi. Différents travaux de l’Odas montrent les effets délétères de l’affaiblissement des liens sociaux et des repères partagés. Il en résulte une augmentation du sentiment de défiance vis-à-vis de l’autre comme la très récente publication du baromètre de la fraternité le montre, qui confirme la tendance du sondage de l’Odas sur le sujet (Aout 2021). Surtout, cette évolution de nos modes de vie et de nos relations sociales vient en partie contrecarrer les efforts de la collectivité pour lutter contre les effets de la pauvreté. 

La part de la richesse nationale consacrée à la solidarité et au soutien aux plus fragiles est considérable. Rien qu’à l’échelle des départements, qui représentent pourtant une faible part de la mobilisation de cette ressource collective, les dépenses sociales et médico-sociales représentent plus de la moitié de leurs dépenses de fonctionnement. Or cet investissement ne parvient pas à répondre efficacement aux nouveaux défis de la pauvreté.

Le caractère de plus en plus polymorphe de la pauvreté invite à l’observer sous au moins trois prismes : la pauvreté monétaire (mesure des personnes vivant avec moins de 60% du revenu médian), la pauvreté en conditions de vie (la mesure de l’accès à des biens de consommation courante), la pauvreté relationnelle (mesure du lien social). Contrairement à des idées reçues, les résultats de ces approches ne regroupent pas les mêmes personnes, même si une part d’entre-elles sont concernées par ces trois approches.

L’action publique s’est accordée à l’évolution plus individualiste de la société, proposant essentiellement des services et des prestations et positionnant l’habitant dans un rôle de consommateur. La philosophie des différentes politiques sociales promeut davantage « l’autonomie », omettant que la promotion de « l’interdépendance » est tout aussi importante pour l’épanouissement de chacun. A cet égard, l’utilité sociale et la reconnaissance de chacun sont indispensables pour la cohésion de la société. Le peu de valorisation de tout ce qui permet de rassembler, de créer du sens collectif, de favoriser la différence, et ainsi de soutenir le développement des liens sociaux et des repères partagés constitue le « chainon manquant » dans nos politiques publiques pour construire une « société inclusive ».

La prévention, parent pauvre des politiques sociales

Depuis plus de vingt ans, l’action des départements a été profondément transformée. La part des allocations est passée de 11 % des dépenses nettes en 2002 à 47 % en 2021 (cf. la lettre annuelle de l’Odas sur l’évolution des dépenses sociales et médico-sociales des départements). Outre la mobilisation des crédits nécessaires (une bonne partie de l’augmentation de ces dépenses est financés par la ressource départementale), cette évolution nécessite une organisation qui garantisse l’accès et le service des droits, et impose donc des contraintes fortes de gestion. Structurellement, l’exercice des compétences qui ressort davantage d’une logique de projet cède progressivement la place à une logique de guichet, sous la pression des multiples dispositifs à mettre en œuvre.

Les conséquences pour le travail social sont importantes avec notamment le développement d’une relation asymétrique avec les habitants ou le « faire pour » domine, une prédominance d’une approche par politique et par public (le silo) et une emprise de la logique de réparation. La croissance de la demande constitue un véritable « tonneau des danaïdes », qui peut provoquer de l’épuisement et de la perte de sens. Sans omettre le contexte d’une société qui valorise peu la relation humaine. Il est utile de rappeler à cet égard que la désaffection des métiers ne touche pas seulement le champ social, mais également celui de l’éducation et celui de la santé, et plus globalement tous les métiers d’accompagnement humain. 

En parallèle, malgré le caractère annoncé comme prioritaire de la prévention dans tous les schémas et documents stratégiques des départements, elle peine à se concrétiser. Pourtant elle est essentielle pour s’attaquer d’avantage aux causes et contenir le poids des politiques réparatrices. Il est utile à cet égard de distinguer la prévention ciblée (ex : prévention spécialisés, ateliers mémoire, ...) de la prévention globale. Cette dernière a vocation à agir sur l’environnement, en accompagnement les personnes et en aidant la société à changer. Ce qui est appelé développement social, développement humain, développement local [1].…

Renouer avec l’ambition de transformation sociale

La complexité des problématiques ne permet pas à une institution seule de les traiter. La prévention globale ne peut donc s’envisager sans s’appuyer sur des partenariats diversifiés et sur la promotion du pouvoir d’agir des personnes concernées. Ce qui nécessite d’adopter une posture de « faire avec ». Ce mode d’action s’appuie sur une logique de projet, ce qui impose de gérer la tension avec la logique de guichet (voir supra). Bien logiquement, cette orientation impose une adaptation de l’organisation, du management, et des modalités de travail des acteurs concernés. 

L’engagement dans la prévention globale est un sujet politique qui nécessite donc l’implication des élus, car ils disposent seuls de la légitimité pour soutenir la mobilisation des différentes institutions concernées, développer des actions qui ont l’ambition d’agir sur l’environnement des habitants et d’initier des processus de transformation sociale. Le département, chef de file est, à cet égard, un acteur fondamental pour impulser ces approches de développement des solidarités humaines.

Au moins quatre leviers peuvent être identifiés pour faire prospérer des initiatives de prévention globale: la proximité – à savoir des organisations territorialisées en capacité de s’adapter aux spécificités et identifier les ressources locales ; la coopération avec l’ensemble des acteurs ; la transversalité pour la mise en œuvres des politiques (par exemple l’insertion des parents est un facteur de protection des enfants) ; l’observation partagée afin d’identifier ensemble les besoins spécifiques, préalable à toute l’action et nécessaire pour la réorienter. 

La finalité de la prévention globale, c’est bien de développer les liens sociaux, les relations entre les générations et l’engagement citoyen, permettant ainsi de construire des repères plus partagés et des solidarités locales plus spontanées. C’est indispensable pour lutter contre la prégnance des politiques de réparation, construire de nouvelles réponses et adapter les réponses actuelles.

Au fond, il s’agit de répondre à la question « comment faire société aujourd’hui ? », sans doute d’ailleurs une condition pour s’engager dans la transition écologique.

 

[1] L’Odas publie régulièrement des expertises de ce type d’initiatives sur les sites internet, apriles.net et labau.org.