Protection de l’enfance : mieux comprendre les circuits, mieux connaître les dangers
Cette étude a pour objectif de mieux comprendre les circuits du signalement et de mieux connaître l’environnement des enfants en danger. L'enquête porte sur des signalements de l’année 1997, recueillis dans dix départements, choisis en raison de la qualité de leur système d’observation, et non pas sur des critères de représentativité nationale.
L’intervention de l’État dans la vie des familles est relativement récente en droit français. C’est la loi de 1889 qui, pour la première fois, a entendu réprimer les abus de l’exercice de la puissance paternelle en donnant au tribunal civil le pouvoir de prononcer la déchéance des droits des parents auteurs de mauvais traitements sur leurs enfants, ces derniers pouvant être retirés de leur milieu familial pour être confiés à l’Assistance publique ou à une œuvre charitable. La loi de 1898 a intro- duit des sanctions pénales contre les parents coupables de sévices ou de violences sur leurs enfants mineurs.
Dans sa forme actuelle, le système de protection de l'enfance repose sur les grands principes définis en 1945. L’adaptation la plus importante a été depuis lors le transfert de responsabilités importantes dans ce domaine aux collectivités territoriales, et plus particulièrement au conseil général par le fait des lois de décentralisation (1982-1986). L’État conserve cependant des responsabilités essentielles au travers de la justice des mineurs qui est restée dans sa compétence, mais aussi par sa stratégie législative (comme la loi de juillet 1989 sur les mauvais traitements à l’égard des mineurs) et ses politiques d’incitation qui définissent les conditions minimales d’intervention de l’action sociale.
Plus précisément, le système de protection de l’enfance en danger est organisé en deux secteurs.
La protection administrative est mise en œuvre par les conseils généraux avec l’aide du secteur associatif. Elle regroupe l’ensemble des interventions individuelles et collectives de nature essentiellement préventive. L’accord des personnes qui bénéficient de ces interventions est nécessaire. Ce type de protection repose sur la notion de risque de danger en matière d’éducation, d’entretien, de santé et de sécu- rité, ou moralité. C’est le service de l’ASE qui assure cette mission, qui devrait concerner la plupart des enfants en risque.
La protection judiciaire regroupe les interventions individualisées à partir d’une décision du juge des enfants : l’ordonnance. Ce type de protection vise à contrôler l’exercice de l’autorité parentale sans y porter atteinte, en apportant aide et accueil à la famille, qui n’a pas accepté en premier lieu l’aide proposée par les services de la protection administrative. Il s’impose tout naturellement dans la plupart des cas de maltraitance.
Mais, si la protection de l’enfance est organisée en deux secteurs, la mission de repé- rage et d’évaluation des dangers est principalement dévolue aux conseils généraux, et la loi du 10 juillet 1989 affirme explicitement la responsabilité du conseil général en matière de prévention et de protection des mineurs victimes de mauvais traitements. Elle fait obligation au Président du conseil général de mettre en place au niveau départemental un dispositif permettant de recueillir en permanence des informations relatives aux mineurs maltraités et de répondre aux situations d’urgence, ainsi que d’informer les professionnels qui lui ont communiqué ces informations de la suite qui leur a été donnée. Elle crée le Service national d’accueil téléphonique gratuit, auquel participent financièrement l’État et les départements. Dix ans après l'adoption de cette loi, il s'avère nécessaire de s'interroger sur son impact. L'étude engagée par l'Odas et le Service national d'accueil téléphonique de l'enfance maltraitée (Snatem, ou "119") peut y contribuer, en analysant les circuits aboutissant ou non à un signalement judiciaire, ce qui permet de mieux comprendre mécanismes et comportements (1ère partie).
Par ailleurs, la connaissance des enfants et de leur environnement permet de repérer un certain nombre de facteurs explicatifs de risques ou de maltraitances, et de montrer sous quelle forme la précarisation de la société se traduit en danger pour les enfants, faute d'une meilleure adaptation des réponses (2ème partie).
Principales définitions retenues dans ce guide
Enfant maltraité : enfant victime de violences physiques, cruauté mentale, abus sexuels, négligences lourdes, ayant des conséquences graves sur son dévelop- pement physique et psychologique.
Enfant en risque : enfant qui connaît des conditions d’existence qui risquent de mettre en danger sa santé, sa sécurité, sa moralité, son éducation, ou son entretien, mais qui n’est pas pour autant maltraité.
Enfants en danger : ensemble des enfants maltraités et des enfants en risque pris en charge par l’ASE ou par la Justice.
Information : souvent improprement nommée “signalement”. Il s’agit des informations caractérisant un enfant en danger, qui peuvent parvenir du voisi- nage, des associations, des familles, ou encore de services ou d’intervenants médicaux, sociaux ou éducatifs en contact avec l’enfant ou sa famille.
Signalement : document écrit établi après évaluation pluridisciplinaire et si possible pluri-institutionnelle d’une information. Ce document fait état de la situation de l’enfant et de la famille, des mesures préconisées, de type adminis- tratif ou judiciaire et de tous les éléments permettant l’entrée dans le dispositif d’observation.
Ce signalement peut être adressé :
● soit à l’ASE, qui prendra les mesures administratives ou qui transmettra si nécessaire au Parquet;
● soit directement au procureur de la République par des partenaires ayant pro- cédé eux-mêmes à une évaluation (hôpitaux, écoles, police, gendarmerie).
Évaluation : regroupement des informations connues par au moins deux professionnels ou au moins deux institutions afin d’apprécier la réalité du danger encouru par l’enfant, la capacité d’adhésion de la famille à un projet d’aide, et de faire des propositions de protection immédiate ou de prévention. L’évaluation se fait généralement dans la circonscription mais elle peut être faite directement au sein d’une équipe hospitalière ou éducative. C’est grâce à cette évaluation que l’on pourra notamment distinguer les enfants en risque des enfants maltraités.