Protection de l’enfance : quand le confinement révèle des pistes d’amélioration
Jeudi 3 décembre 2020 l’Odas présentait les résultats de son enquête sur les effets du premier confinement sur la protection de l’enfance. Les enseignements tirés de cette crise permettront de mieux adapter les pratiques professionnelles en protection de l’enfance avec en ligne de mire une meilleure prise en compte des besoins de l’enfant.
>Téléchargez la synthèse de l'enquête en bas de page
L’Odas a pu mener une enquête cet été auprès d’un millier d’acteurs de l’enfance et de la famille de toute la France métropolitaine, toutes institutions et métiers confondus. Ceux-ci ont fait part de leur vécu et de leur ressenti sur l’impact que la crise sanitaire a eu sur les coopérations institutionnelles, les pratiques professionnelles, les relations avec les familles et les enfants et, plus largement, sur le bien-être des enfants accompagnés dans le cadre de l’aide sociale à l’enfance.
Si le confinement a révélé les faiblesses du secteur dont témoignent les personnes interrogées, il permet de mettre en avant des améliorations possibles, afin de contribuer à leur diffusion et leur pérennisation dans les pratiques quotidiennes.
Rappelons que la mobilisation du travail social n’avait pas fait l’objet d’orientations claires. À l’évidence, dans un contexte où le matériel de protection individuelle était largement insuffisant et où les équipements en téléphone et ordinateurs portables étaient très disparates d’un département à l’autre, les moyens d’action s’en sont trouvés réduits. Et on ne peut que regretter que les personnels sociaux et médico-sociaux n’aient pas été désignés intervenants de première ligne, notamment pour que l’école accueille leurs enfants.
Malgré ce contexte défavorable, certains professionnels ont paradoxalement eu l’impression de se recentrer sur leur cœur de métier et de prendre le temps pour interroger leurs pratiques et questionner le sens de leur action. 71,5% des acteurs de la protection de l’enfance interrogés considèrent d’ailleurs qu’il faut pérenniser certaines modalités d’agir apparues pendant le confinement.
Plus précisément, on peut mettre en relief les constats suivants :
Un développement de l’inventivité locale
Accueil de répit en crèche, partenariat avec les grandes surfaces pour les bons alimentaires, lieu d’accueil éphémère, équipe mobile IME-ASE, livraison de petits déjeuners, permanence d’écoute téléphonique, cafés parentalité en visio, bureau mobile dans une camionnette, vivier de volontaires professionnels, médiation animale, séjours à la campagne… Citant ces exemples 62% des répondants considèrent que les acteurs de la protection de l’enfance ont
été inventifs pendant cette période de confinement. « L’urgence a bousculé les routines et a obligé à sortir des sentiers battus, à rechercher des solutions innovantes », affirme une cadre d’association.
Cette crise a ainsi permis de mettre en place des actions innovantes qui n’auraient pas, selon les répondants, été autorisées ou pensées auparavant. Cette inventivité aurait notamment été rendue possible grâce à l’allègement de certaines procédures. En effet, 43,7% des répondants témoignent d’aménagements ou d’allègements des procédures habituelles.
Des liens parents-professionnels parfois renforcés
Bien qu’elle ne doive pas masquer le lien perdu avec certaines familles pendant le confinement et les enfants qui « ont disparu des radars », une évolution non prévisible a été révélée par l’enquête : 51% des acteurs de la protection de l’enfance affirment que le télétravail a eu un impact positif sur les relations avec les familles. Plus globalement 58,5% des répondants déclarent que les relations familles-professionnels ont été plus équilibrées voir renforcées. Ainsi, une travailleuse sociale témoigne : « Il y a une relation un peu plus d’égal à égal qui s’est créée. Pour une fois, les familles n’étaient pas les seules à exposer leur intimité. Je faisais mes appels visio dans le salon avec mon fils de trois ans qui hurlait à côté. Les familles ont pu voir qu’élever un enfant est compliqué pour tout le monde ». La diversité des canaux de communication utilisés et la fréquence des contacts auraient, selon les professionnels, été déterminants dans ce rapprochement. Notons tout de même que 21,7% des répondants considèrent que les relations se sont dégradées et que 7% les perçoivent comme plus conflictuelles.
Un apaisement inattendu de nombreux enfants
Il est évident que cette période a engendré une multitude d’effets nocifs dans les familles : précarité accrue, violences intrafamiliales… Mais, paradoxalement, 59,3% des répondants déclarent que ce confinement semble aussi avoir entraîné des effets inattendus dans les relations parents-enfants. À la maison, les professionnels ont pu relever que la disponibilité parentale était plus importante du fait du télétravail ou du chômage partiel. L’abaissement des contraintes quotidiennes pendant cette période a pu également induire un apaisement.
Divers effets positifs inattendus ont été perçus dans plusieurs lieux de placement. Tout comme dans le milieu familial, le personnel a pu se montrer plus disponible pour les jeunes accueillis et les liens entre accueillants et accueillis ont pu se resserrer. Permanence éducative, continuité du cadre, implication dans des projets d’établissement, sont autant d’éléments qui semblent avoir induit une baisse des fugues et des violences dans plusieurs MECS, malgré une promiscuité accrue.
De nombreux répondants mettent aussi en exergue l’effet bénéfique du confinement sur le rythme de vie des enfants. Avec la suspension des multiples prises en charge, « on constate une baisse des troubles du comportement, des manifestations anxieuses et du stress. Les enfants ont enfin pu se poser dans leur lieu d’accueil, ça a été une véritable bulle d’air », relate un chef de service départemental.
D’autres témoignages notent des améliorations dans la relation entre les enfants placés et leur famille, comme le précise cette assistante familiale : « Avec ce confinement, Jeanne a pu trouver ce qui lui convient comme modalité de relation avec sa mère : un appel visio de temps en temps, environ une fois par mois, à la place de visites hebdomadaires. Résultat : elle était moins stressée, plus joviale, dormait mieux… ». Ces constats interrogent donc à nouveau dans certaines situations sur l’idéologie du maintien des liens familiaux à tout prix, tant sur la forme que sur la fréquence de ces liens.
Une coopération des acteurs et des institutions toujours perfectibles
Les résultats de l’enquête sur le partenariat et les relations interservices montrent que la crise sanitaire n’a pas eu d’effet significatif sur la coopération. Concrètement, 47,9% des répondants déclarent que les relations des départements avec les associations sont restées inchangées, 10,8% pensent que ces relations se sont dégradées, et seulement 22,4% pensent qu’elles se sont améliorées. En ce qui concerne les relations entre services départementaux, le même constat peut être fait. Ainsi, les répondants affirment très largement que ces relations n’ont pas évolué de façon significative.
Notons toutefois que quelques répondants témoignent que la crise sanitaire a permis la mise en place de solutions adaptées, de manière décloisonnée entre les institutions et les services, et ce très rapidement. « En quelques jours, nous avons monté une structure d’accueil éphémère grâce au concours de tous, qui aurait mis des années à être créée en temps normal », témoigne une professionnelle d’une direction départementale de la protection de l’enfance.
En conclusion, malgré de lourdes contraintes, les professionnels semblent en majorité avoir su s’adapter. La période a donc été certainement une source d’efforts et de tensions importante, mais elle a permis la découverte d’éléments qui pourraient provoquer des changements dans l’avenir. On peut d’ailleurs déjà considérer que les enseignements du premier confinement semblent d’ores et déjà influencer de manière positive le deuxième. Mais il faut surtout espérer que l’on en tire sur le long terme les leçons pour mieux prendre en compte dans l’avenir les besoins et les rythmes de vie des enfants.