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Décryptage/Témoignage

“Refaçonner le lien entre citoyenneté et fraternité” - Interview de Éric Brocardi, porte-parole de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers

Porte-parole de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France (FNSPF), Éric Brocardi était présent lors de la conférence de presse de lancement de la Journée de la citoyenneté et de la fraternité du 15 octobre. Il nous explique les raisons de l’engagement de sa fédération dans cette démarche de promotion des valeurs essentielles pour le vivre ensemble.

Pouvez-vous nous préciser les raisons pour lesquelles vous participez à cette journée nationale de la citoyenneté et de la fraternité ?

Eric Brocardi : La décision a été très rapide, on a dit “oui” tout de suite. Pourquoi ? Parce que les sapeurs pompiers c’est 80 % de volontaires sur un effectif de 251 000 personnes. C’est donc, en premier lieu, un engagement citoyen. C’est 197 000 personnes qui participent à plus de 4 millions d’interventions par an, soit une intervention toutes les sept secondes. Par ailleurs, les sapeurs-pompiers s’inscrivent dans une logique territoriale, une logique de proximité. On est donc ravi de faire partie d’un ensemble de partenaires, où tout le monde est représenté, aussi bien les grandes villes que les villes moyennes et la ruralité, pour réussir cette journée. Il faut, en effet, redonner du sens au collectif dans notre pays. Et cela doit se faire dans la proximité.

C’est donc une priorité selon vous ?

Les sapeurs-pompiers, c’est 6 100 casernes à travers toute la France dont la majorité sont dans les territoires les plus reculés. Dans certains d’entre eux, il ne reste plus que la mairie, la boulangerie, l’église et la caserne de pompiers. Aujourd’hui, force est de constater que dans les crises les plus délicates, les personnes qui sont présentes, avec la mairie et les associations, ce sont les sapeurs-pompiers et les forces de sécurité. Si aujourd’hui on est là et contents d’être avec vous pour apporter une certaine animation à cette journée, c’est pour défendre la citoyenneté. C’est un mot extrêmement fort mais nécessaire car on recherche de plus en plus de vocations face à l’esprit civique qui s’estompe. Je vais reprendre les mots de Frédéric Lenoir qui parlait d’une “société recroquevillée sur elle-même”. Je pense qu’aujourd’hui, à l’heure des selfies, on se regarde trop soi-même avant de regarder les autres.
De nos jours, quand on fait une intervention toutes les sept secondes, on tombe sur deux choses : le désarroi des populations et la solitude des gens. Cela résulte de deux éléments : beaucoup de choses se perdent au sein du noyau familial, c’est un constat flagrant pour nous, et la fracture numérique, qui me plonge dans une profonde angoisse à titre personnel. Elle pose un certain nombre de problèmes aujourd’hui pour nous, sapeurs-pompiers de France, qui restons le maillon d’une forme de sociabilité et qui permet à des personnes d’avoir quelqu’un au bout du téléphone et non pas une boîte vocale. Face à cette détresse-là, c’est normal que l’on s’engage sur ces sujets que sont la citoyenneté et la fraternité.

Avec la multiplication des crises, comment renforcer l’efficacité des réponses ?

On a parlé des méga-feux cet été, ce qui nous a permis d’avoir une fenêtre médiatique pendant deux mois. Mais cela ne peut suffire à briser l’amnésie de nos autorités et de la population en général sur l’insuffisance de nos moyens. En effet, on a beaucoup d’interventions qui passent sous le radar et leur nombre ne cesse d’augmenter. Il nous faut donc d’avantage de ressources. Mais il y a aussi un problème de transformation des comportements. Quand vous avez une catastrophe comme la tempête Alex, le citoyen doit connaître les gestes à appliquer et savoir comment se protéger. Les inondations font parfois des blessés car on ne sait pas comment se comporter. Si on est capable de faire des gestes aussi simples que le tri sélectif, on devrait être en mesure de savoir en faire d’autres pour préserver notre vie et celles de nos proches.
Enfin, je voudrais insister sur la nécessaire coordination avec les autres acteurs pour renforcer l’efficacité de nos interventions. Premièrement, ce n’est qu’au moment où on intervient que l’on constate la prise en charge ou non de la personne par sa famille. Deuxièmement, on ne connaît pas le soutien administratif et social autour de la personne, comment elle est considérée.
Et enfin, on ignore tout du réseau social “pur”, c’est-à-dire l’environnement humain de la personne. On n’a pas ces indicateurs quand on arrive sur une intervention. Et nous n’avons pas, de notre côté, les moyens d’informer d’autres services sur les données que nous recueillons avec nos interventions. Tous ces facteurs doivent être pris en compte pour mettre l’humain au cœur des dispositifs de soutien aux personnes, mais il n’existe pas réellement de lien entre nous et les services afférents. Nous avons la chance d’être encore un service public, d’avoir nos propres outils, mais si demain une société comme Google met la main sur nos données, ce sera terminé !
En conclusion, on a certes besoin de plus de moyens mais en améliorant les relations entre tous les services on pourrait agir plus efficacement. Et surtout, en renforçant l’esprit civique et les solidarités naturelles, on améliorerait considérablement les actions de prévention.